vendredi 2 juillet 2010

POUPÉES DE MAÏS

Les poupées, ça n’a jamais été vraiment ma spécialité ! Vous vous en doutiez ? Pensez, de mon temps, un garçon avec une poupée...
Et cependant –ça va en surprendre quelques-uns- la moitié des enfants sont des filles et, malgré les efforts des féministes, les filles restent encore parfaitement sensibles à cet objet millénaire. Est-ce par hasard qu’en latin « pupa » signifie à la fois fillette non pubère et poupée, tout comme en grec le mot « koré » ? On a peut-être tendance à trop facilement l’oublier ?
Quoi qu’il en soit, les ateliers « poupées » sont toujours fort appréciés, n’en déplaise à nos « chiennes de garde ».
Voilà pourquoi je me penche en ce moment sur le sujet.

J’ai ici deux thémes de recherche : les modèles de poupées de maïs, avec les techniques de fabrication, et le maïs en tant que plante.
Etant donné qu’en cette saison, fin juin, les maïs sont encore tout petits, j’ai essayé les feuilles de canne de Provence. J’ai bien réussi à faire quelque chose, mais cela ressemble plus à de vilaines figurines vaudou qu’à des poupées pour des fillettes...
Il faut dire que les feuilles de canne, même toutes jeunes, sont raides, filandreuses et dures, et surtout qu’elles se fendent trop facilement sur toute leur longueur.
En attendant que les feuilles du maïs grandissent encore un peu, nous nous intéresserons à cette étrange végétal.

Lorsque Christophe Colomb débarqua à Cuba, en 1492, il repéra une plante sacrée que les habitants de l’île nommaient « ma-hiz », qui signifie « celui qui soutient la vie ». Cette plante était déjà cultivée sur tout le continent, et de là lui vient son nom.
Il s’empressa d’en rapporter en Europe où les gens se mirent à la cultiver et à la consommer en abondance. Mais, malheureusement il ne savait pas que, pour consommer le maïs, les Amérindiens le faisaient cuire dans l’eau de chaux ; cela se nomme la « naxtamalisation ». Il en résulta une épidémie de pellagre, maladie de carence vitaminique qui décima les populations, dans un premier temps.
Pour commencer, il convient de rappeler un fait extraordinaire : le maïs est la seule plante qui n’a jamais existé à l’état sauvage : elle est exclusivement une production humaine, et sans l’homme elle ne survivrait pas.
Dès le départ de son existence, le maïs est donc... un OGM ! Une sacrée prédestination...

Bien entendu, pour « fabriquer » le maïs, les hommes ne sont pas partis de rien, comme le font les dieux ! La plante qui, encore aujourd’hui fait débat, en tant qu’ « ancêtre », est le téosinte.
Le nom « téosinte » provient du nahuatl « teocintle », qui signifie littéralement ‘grain’ ‘divin’ ou ‘des dieux’.
Ce nom nous renseigne déjà sur l’origine géographique de la plante, ou au moins sur l’endroit où elle a été d’abord repérée : le Mexique. Et, par la même occasion il pose le problème récurrent et non résolu de la racine « téo » ou « théo » qui a le même sens de ‘dieu’ dans les langues de l’ancien Mexique et... en grec ancien !
Extérieurement, le téosinte et le maïs présentent des différences importantes qui semblent les rendre incompatibles; par exemple le premier est constitué de graines détachables enveloppées dans une capsule très dure, alors que le second comporte des grains nus et non détachables spontanément.
Et, cependant, cinq gênes seulement les séparent : un peu comme le singe et l’homme !

Le peuple huichol ou wixarika est implanté au Mexique dans la Sierra Madre Occidental.
C'est un des peuples du Mexique qui a su le mieux conserver sa personnalité, que ce soit face aux conquistadors espagnols ou aux dégats de l’ « américanisation » -alors que ce sont eux les véritables américains-, et de la mondialisation. Pour combien de temps encore ?
Ce peuple semble être le porteur des traditions les plus anciennes concernant le téosinte et sa transformation en maïs. D’ailleurs, c’est sur l’un de ses territoires, la Sierra de Manantlán (Jalisco), que subsistent les derniers plants originels de « zea diplopernnis », autrement dit de téosinte. Et il conserve de bien belles légendes. Par exemple celle-ci :

« Les Huicholes étaient fatigués de manger des choses qu'ils n'aimaient pas. Ils voulaient quelque chose qu'ils pourraient manger tous les jours, mais de façons différentes.
Un jeune Huichol entendit parler du maïs et de ses fameuses recettes : des « tortillas », des « chilaquiles » et la soupe de tortilla que l'on préparait avec cette céréale. Mais le maïs se trouvait très loin, de l'autre côté de la montagne. Cela ne le découragea pas et il se mit en marche
Au bout de peu de temps il vit une file de fourmis et, comme il savait que certaines d'entre elles étaient les gardiennes du maïs, il les suivit. Mais quand le jeune s'endormit, les fourmis, sans aucune gêne, dévorèrent tous ses vêtements, le laissant seul avec son arc et ses flèches. Sans vêtement et affamé, le Huichol se mit à se lamenter. C'est alors qu'un oiseau se posa sur un arbre proche. Le jeune pointa son arc vers lui, mais l'oiseau le réprimanda et lui dit qu'elle était la Mère du maïs. Elle l'invita à la suivre jusqu'à la Maison du Maïs où elle l'autoriserait à prendre tout ce qu'il cherchait.
Dans la Maison du Maïs se trouvaient cinq belles demoiselles, les filles de la Mère du maïs : Mazorca Blanca, Mazorca Azul, Mazorca Amarilla, Mazorca Roja et Mazorca Negra.
Mazorca Azul le charma par sa beauté et sa douceur. Ils se marièrent et retournèrent au village huichol. Comme ils n'avaient pas encore de maison, ils dormirent un temps dans un lieu dédié aux dieux. Comme par enchantement, la maison des nouveaux mariés se remplissait chaque jour d'épis qui la décoraient comme des fleurs. Les gens venaient de toutes parts car Mazorca Azul leur offrait des épis à pleines mains.
La belle épouse enseigna à son mari à semer le maïs et à entretenir les cultures. En apprenant quels délices offrait ce nouvel aliment, les animaux tentèrent de le dérober. Mazorca Azul enseigna aux gens à placer des feux autour des cultures pour effrayer les bêtes à la recherche d'épis tendres.
Les Anciens racontent que Mazorca Azul, après avoir enseigné tout ce qu'elle savait, se moulut elle-même et c'est de cette façon que les hommes connurent l'excellent « atole », une boisson chaude que l'on prépare avec des grains de maïs. »

La légende nous parle de cinq belles demoiselles, les filles de la Mère du maïs : Mazorca Blanca, Mazorca Azul, Mazorca Amarilla, Mazorca Roja et Mazorca Negra. C’est un premier enseignement : en ce temps-là, sans doute bien avant l’arrivée des conquistadors espagnols, le Huichols connaissaient déjà les principaux hybrides du maïs !
De plus, en faisant choisir par le jeune homme Mazorca Azul, le conte nous donne un autre enseignement : le maïs bleu est le plus sacré de tous, car c’est le plus nourrissant.
D’autres versions affirment que le jeune homme a épousé les cinq jeunes filles, et c’est sur ce mythe que se fonde la polygamie des Huichols, limitée à cinq épouses.
Certains présentent seulement quatre hybrides, comme cela apparaît illustré dans une composition caractéristique de ce peuple, constituée de laines et de petites perles collées sur un support enduit de cire :
On peut y observer :
a/ Une marmite pleine de « tortillas » (galettes de maïs)
b/ Une gourde remplie d’ « atole » (boisson chaude à base de farine de maïs)
c/ La mère du Maïs
d/ Le jeune Huichol
e/ Les couleurs du maïs
f/ Les filles

Les légendes sont au fond des enseignements qui prennent la forme de récits capables de frapper des imaginations structurées sur la base de la pensée magique et du sacré.
En effet, plusieurs informations déterminantes sont présentées dans cette légende, ou ce mythe : le maïs est une plante qui conditionne la survie entière du peuple concerné, à tel point que les Mayas se considèrent « hommes de maïs », à tous les sens du terme, ce qui les structure entièrement aussi bien sur le plan individuel que collectif ; ensuite, le maïs est une plante fragile et instable : il convient de la soigner avec une particulière attention et, enfin, la sélection progressive se fait à partir des grains bleus.
Très récemment, des recherches scientifiques ont mis au jour un surprenant mécanisme de sélection du téosinte vers le maïs.
Nous avons vu que seuls cinq gênes différencient les deux plantes, or il se trouve que, dans des conditions particulières, la mutation génétique se fait spontanément.
On a observé que, sur des sols richement chargés en métaux lourds qui produisent des radicaux libres (argent, cuivre), la synthèse des anthocyanes, les pigments bleus (du grec « anthos » = fleur, et « khuanos » = bleu sombre) s’accélère considérablement. En effet, les radicaux libres sont capables de produire des scissions dans le matériel génétique. Et comme il n’y a que cinq gènes de différence avec le maïs...
Des expériences ont été réalisées,
qui confirment le phénomène : la synthèse des anthocyanes augmente lorsque la plante est en situation de stress !
Par sélections successives, on obtient des concentrations de plus en plus grandes et, du point de vue nutritif, cela revêt une importance capitale, car les grains bleus sont les plus riches en amidon et aussi en antioxydants.
Il s’agit bien là d’un secret vital pour la population. Découvert par de longs efforts d’observation des chamans, « révélé » par les plantes ou les esprits dans des « états modifiés de la conscience » par le « peyote », car ces populations vivent avec les plantes dans une intimité impensable pour nous, ou transmis par des « extraterrestres » comme le pensent certains ? Allez savoir...
De plus, ces mutations s’avèrent être plutôt durables et transmissibles à la plante mère, par rétroaction.

Les premières traces archéologiques du maïs au Mexique remontent à 8 000 ou même à 9 000 ans, c’est à dire à l’époque de la transition entre pastoralisme et agriculture. C’est le problème de l’oeuf et de la poule, mais il semble bien que cette grande mutation socio-économique soit contemporaine de celle du téosinte en maïs.
Les grandes mutations, qu’elles soient sociales ou individuelles sont toujours sources de troubles potentiels et, dans les temps anciens, la
Cela fut le cas lors de l’introduction du noyer et de la noix dans la Grèce ancienne: la noix fut alors nommée « nux juglans » -noix de Jupiter- ou « caryon basilicon » -noyau royal- . Et ce fut la petite Carya réelle ou mythique, qui fit les frais du sacrifice. On institua pour la circonstance un culte à Artémis Cariatis, et on donna son nom aux cariatides. Curieusement -ou non !- on retrouveexactement la même démarche dans la conceptualisation du nom « teocintle » et la création d’une divinité du même nom!
Chcicomecoatl est la Grande Déesse du Maïs ; son nom signifie Sept (chicome) Serpents (coatl).
Avant l’arrivée des Espagnols, de grandes festivités lui étaient consacrées, au cours desquelles les grands prêtres revêtaient les peaux des prisonniers de guerre sacrifiés la veille. Une jeune femme soigneusement choisie était chargée de représenter la déesse Chicomecoatl ; elle était vêtue et choyée comme telle et, le lendemain matin, point culminant de la fête, elle était sacrifiée, avec quelques prisonniers, afin d’assurer la fertilité aux champs de maïs et la prospérité du peuple Mexica.
On voit bien ici très exactement la trame du sacrifice ritualisé du bouc émissaire, avec toutes ses composantes et tous ses objectifs !
Les divinités du maïs Centéotl et Chicomecoatl sont souvent présentées comme androgynes, ce qui confirme encore le schéma sacrificiel de ce culte.
Aujourd’hui, de nouvelles mutations génétiques sont en train de produire les bouleversements et les troubles que l’on sait.
Les Huichols s’en remettent à leurs déesses Teocintle et Chicomecoatl, en perpétuant autant que possible leurs fêtes et rituels propitiatoires, pour tenter de se préserver de la disparition annoncée, par contagion, des anciennes plantes natives. Il en va de la survie du téosinte et de l’identité même de leur peuple.
Y arriveront-ils, ou faudra-t-il créer de nouveaux dieux, d’autres mythes et d’autres rites pour canaliser tout cela ?


Je crains bien que mes futures poupées de maïs n’y puissent rien, même si elles sont belles comme des déesses huicholes.