vendredi 5 décembre 2008

« Lo vironzeu de la mai Polo »



Je n’arrive pas à me revoir en train de jouer avec le « vironzeu de la mai Polo ». Je tente pourtant de ranimer l’enfant que me montrent de vieilles photos de moi, dans des lieux dont je me souviens bien, mais ça ne marche pas ! Incommensurable distance de l’oubli de ce qui est pourtant là, quelque part, engrammé, derrière une porte invisible que je ne saurais même pas ouvrir, si je la trouvais…
Je ne sais pas non plus qui m’avait fait mon premier vironzeu, ni quel âge j’avais exactement, mais cela ne pouvait être qu’un autre enfant, plus grand, ou peut-être mon père.
Je sais seulement que, tout comme Obélix l’avait fait pour la potion magique, je suis tombé dedans dès ma plus tendre enfance.
Je sais aussi que ce jouet m’a toujours accompagné, au fond de quelque poche, à l’école, à la maison ou en vadrouille par les chemins et par les bois.J’ai dû en avoir des dizaines qui se sont succédés, au fur et à mesure que j’en perdais ou que j’en cassais un.
Je ne sais pas non plus à partir de quel moment je me suis mis à les fabriquer moi-même ; je suppose que cela a dû être très tôt car, au village, les enfants étaient bricoleurs et habitués à se débrouiller par eux-mêmes. Et personne n’y avait peur des couteaux !
Quant au nom, dont je me souviens fort bien, qui avait pu le lui donner, et quand ? Il me semble me souvenir que c’étaient les adultes qui le nommaient ainsi, avec une pointe de mépris pour leurs propres traditions: déjà !
Ce nom, en patois local, la langue de tous mes voisins, que je comprenais fort bien, me parlait clairement : « virar » signifie ‘tourner’, et ce substantif dérivé, « vironzeu », avait une allure et des sonorités à la fois familières et modestes, un peu lourdaudes, étranges et festives. Pour compléter cela, il était associé à « la mai Polo », que je m’imaginais sous les traits d’une de ces vieilles paysannes, fripées et noiraudes, avec leurs grandes mains rouges cuites dans les « pairols » pleins de « bacade » pour les cochons ou dans les interminables « bujades », comme il en venait quelquefois ‘au bourg’.
Le modèle, je m’en souviens très bien, car j’ai toujours construit le même, et le conserve encore aujourd’hui : la noix, bien sûr, l’axe et le fil en cordelière, et une seule ailette, courte et massive pour obtenir une bonne inertie, et pour que cela tienne dans la poche.
Ce qui a changé, c’est la technique de fabrication. A l’époque, on n’ouvrait pas la noix, non pas tellement que l’on n’eût pas de colle, mais parce qu’on avait toujours vu faire ainsi, et que l’on reproduisait à l’infini le geste, sans se poser d’autre question. Qui me demandait un jour pourquoi je peux affirmer que j’ai vécu mon enfance dans un temps circulaire ?
Je me pose une autre question : avec quoi pouvions-nous bien faire les trous dans la noix ? Ce sont mes mains qui me répondent, car le geste y est inscrit au plus profond : avec la pointe du couteau ! Une pointe bien aiguisée, mordante, en ne laissant dépasser de la lame tenue à pleine main, que le, ou les deux millimètres nécessaires.
Etant donnée la méthode de curetage, je suppose que les trous devaient être assez grands. En effet, il convenait d’évider la noix suffisamment pour que le fil, enroulé sur l’axe, ne se coince pas à l’intérieur.
Une fois les trous réalisés, il fallait partir à la recherche d’un bout de fil de fer. A la campagne, au moins à cette époque-là, un enfant n’avait aucun problème pour s’en procurer : de chaque haie, chaque barrière ou palissade, il en dépassait partout des bouts de toutes tailles, tous rouillés à des degrés divers. Il n’y avait plus qu’à en couper un tronçon. La méthode est simple, et il m’arrive encore de l’employer : on forme, avec le bout qui dépasse, une espèce de manivelle que l’on tourne, en maintenant fermement l’autre partie, jusqu’à la rupture.
Il n’y avait plus qu’à façonner un crochet et, patiemment, vider la noix par les trois trous. Question de patience et de temps ; mais il me semble que les minutes passées à cette opération étaient déjà de vrais instants de jeu.
Pourquoi le temps va-t-il si vite aujourd’hui ? Il me semble aussi que la longueur du temps vécu est inversement proportionnelle à celle du renouvellement de nos cellules…
Le nettoyage n’était jamais parfait, et j’ai encore sur les doigts cette impression de gras qu’y laissait l’huile de la noix mais, inversement, la lubrification du moulin était bien assurée !
Pour le fil, soyons franc, il fallait un peu le voler, car un simple bout de fil ne se gaspillait pas, surtout qu’il en fallait plusieurs longueurs pour faire la cordelière…
Restait à faire le montage. A ce propos, je n’ai aucun souvenir de la manière dont nous percions l’ailette : sans doute avec le poinçon du couteau, ou avec un fil de fer.
Ces précisions ont peut-être l’air de détails insignifiants. Que le lecteur se détrompe : pour l’enfant d’alors, qui était démuni sur le plan de l’outillage, c’était très important ; quant à l’enfant d’aujourd’hui, si bien outillé, mais si lamentablement maladroit, il est en situation encore plus difficile.
Et que dire du nœud coulant ? C’est bien simple : aucun enfant actuel n’en a la moindre idée, et bien peu de jeunes adultes sont capables de s’en dépatouiller ! Plus difficile encore : il fallait faire le nœud coulant à l’intérieur la noix, et sans pouvoir l’ouvrir. Le même problème se pose encore maintenant, lorsque le fil usé s’est rompu, ou lorsque la noix l’a avalé parce que l’on n’a pas mis de rondelle d’arrêt à l’extrémité de l’axe.
Une fois résolu le problème du nœud coulant, à l’aide d’un fil de fer recourbé, on fait entrer le fil par le trou qui lui est destiné, en utilisant la boucle du nœud pur le conduire, et on le fait ressortir par l’un des trous de l’axe. Ensuite, on passe l’axe dans la boucle et l’on fait entrer le tout dans le trou, en commençant par le nœud. Il n’y a plus qu’à resserrer en tirant sur le fil, tout en faisant tourner l’axe ; le jeu fera le reste.
Et voilà ; ça a duré ainsi environ 50 ans, jusqu’à ce que je me mette en campagne de collectage et que je découvre que d’autres avaient connu avant moi « lo vironzeu de la mai Polo », avec de nombreuses variantes, d’autres noms, dans d’autres situations !

Le premier que j’ai rencontré a été Pieter BRUEGEL (1525-1569), dit Brueghel l’ancien, grâce à son tableau « Jeux d'enfants », datée de 1560.
Avais-je vu, de loin, ce tableau auparavant ? Pour peu qu’on y réfléchisse, on est surpris de constater combien chacun regarde sans voir. Et c’est que la perception est un acte social : on ne voit rien sans projet.
Toujours est-il que, dès l’instant où j’ai eu ce projet de quête, je n’ai plus vu
que ça : « mon » vironzeu, là, à gauche, mais avec trois étages d’ailettes. Et je me suis empressé de le refaire à l’identique.
Et, quitte à y regarder de près, je me suis rendu compte que notre peintre devait fort bien connaître ce jouet, car il peint l’enfant avec le geste qui convient exactement, comme pour nous l’enseigner : une main tenant la noix et l’autre tirant sur la ficelle, alors que la plupart des gens saisissent spontanément l’axe du moulin! Un détail, cependant lui échappe, et c’est que les ailettes du bas devraient toucher la noix, car c’est sur elles que repose le poids de l’ensemble tournant, à moins qu’il n’ait voulu montrer le jouet en mouvement. En effet, sous l’effet de la vitesse de rotation et de l’aérodynamique, si les ailettes sont un peu incurvées, il arrive qu’elles se soulèvent.

Sur ma lancée, je me suis souvenu que François Rabelais (Chinon 1493/1494 – Paris 1553) écrit dans Pantagruel (1532), au Livre IV, chapitre LXIII :
« Carpalim, d’une coquille de noix grollière faisoyt ung beau, petit, joyeulx et harmonieux moulinet a aesles de quatre belles petites aisses d’ung traonchouer de vergne. »

Et du coup, mes recherches m’ont porté vers Jean Froissart, historien né vers 1337 et mort à Valenciennes vers 1404. Notre auteur visite Paris. Il entre par la Porte Saint Denis dont la décoration représentait le ciel étoilé, rempli d'anges chantant et, au milieu, la Vierge, tenant dans ses bras le petit Jésus jouant avec un petit moulin :
« Et, avec tout ce, il y avait une image de Nostre-Dame, qui tenait par figure un petit enfant, lequel enfant s'ébattait par soi à un moulinet fait d'une grosse noix. »

Les XIVe et XVe siècles semblent très riches de ces représentations ; il faut croire que ce jouet y était à la mode, ou bien qu’il y était considéré comme le ‘top’. C’est ainsi que l’on peut voir, au musée de Tessé, du Mans (Loire), sur un triptyque qui provient du prieuré Saint-Hippolyte de Vivoin, « La Vierge à l’Enfant, avec Saint Benoît ».
La peinture date de 1460.
Cette photo du triptyque a été pour moi une trouvaille extraordinaire, car elle repoussait de 100 ans la preuve de l’existence de mon vironzeu, par rapport à Bruegel.
Quant au site où je l’ai récupérée, je vous le donne en mille : un site italien sur les OVNIs représentés sur des tableaux religieux ! Les auteurs y soutenaient qu’il s’agissait rien moins que d’un… objet extraterrestre ! La « thèse » n’a par tardé à être ridiculisée, bien sûr .
Mais ce jouet n’ a pas cessé pour autant de susciter interrogations et interprétations . Gabriel Racle, chercheur canadien touche-à-tout, écrit dans l’Express du 6 au 12 novembre 2007 :
« On sait que ce jouet est arrivé jusqu’en Europe, sans doute lors d’échanges commerciaux. On voit ce qui semble en être une représentation dans une peinture d’un volet d’un triptyque des environs de 1460, conservé au musée de Tessé de la ville du Mans, en France: La Vierge à l’enfant avec Saint Benoît.
En tirant la corde, le petit rotor s’élève peut-être vers le haut à la manière d’un «hélicoptère». On trouve d’autres exemples de ce jouet dans un vitrail d’une église anglaise, sur une peinture de Jérôme Bosch exécutée à Vienne vers 1485 et sur un vitrail d’une église de Normandie, vers 1525. Toutes ces illustrations semblent prouver que le jouet chinois a fait du chemin et s’est amélioré en exportant le principe de l’hélicoptère.
»
Cela me semble plus sensé que l’OVNI ; en effet, je crois fermement que certains jouets, créations populaires naïves ou non, ont pu fournir des idées aux inventeurs. On voit cependant que l’auteur n’a jamais tenu l’objet dans ses mains, lorsqu’il dit : « le petit rotor s’élève peut-être vers le haut »…

En poursuivant ma pérégrination sur Internet, je suis tombé sur une petite merveille : il s’agit d’un « arbre de consanguinité », extrait d'un manuel juridique du XVe siècle, conservé à la Bibliothèque nationale de France . Le commentateur écrit ceci :
« De même, l’attitude des filles et des garçons diffère : les filles se tiennent assises sagement, lorsque les gamins jouent. L’un d’eux, en robe verte, couleur de la jeunesse, qui est assis à califourchon de la branche médiane, s’amuse avec un moulinet. Ce petit jouet, qu’on voit souvent aux mains de l’Enfant Jésus, est fait d’une noix creusée pour y placer un axe au sommet duquel est fichée une paire d’ailes de moulin miniatures ; une ficelle enroulée autour de l’axe et qu’on tire fait tourner les ailettes. Ce jouet dérive directement de la technique du moulin à vent ; la capacité technique est clairement placée du côté masculin - de même que la puissance financière : dans le couple originel, seul l’homme arbore une bourse à la ceinture - il dispose non seulement de la fortune de sa famille, mais aussi de la dot de sa femme. »

Je me permettrai, à propos du texte, de me demander si vraiment « Ce jouet dérive directement de la technique du moulin à vent », comme l’affirme l’auteur. En effet, les ailes du moulin à vent et celles du moulinet diffèrent nettement : les premières ont leur plan incliné à plus ou moins 30/45 degrés, alors que celles du moulinet sont clairement à plat, comme on le voit sur les deux représentations d’époque. Le principe n’en est pas la force du vent mais l’inertie, comme le yo-yo.
Cette magnifique miniature nous plonge oniriquement dans le lointain imaginaire médiéval : scènes, formes, couleurs, symboles. Et l’auteur ne pouvait pas savoir que cinq ou six siècles plus tard, un ancien enfant de la campagne y pourrait retrouver la simple poésie de ses premiers jouets.
Cependant, notre enlumineur n’avait dû observer le moulinet que de loin, car ni la position des mains telle qu’il les peint, ni la place de la ficelle, ne permettent de le faire fonctionner !

A propos du vironzeu, la référence à un « hélicoptère » me semble être inscrite au plus profond de l’imaginaire enfantin d’aujourd’hui. En effet, il n’est pas un jeune actuel qui ne le nomme ainsi.

Pour moi qui, enfant, n’avais pas encore vu ces engins volants, cela ne fonctionnait pas ainsi, et ça en dit long sur la façon que nous avons de ‘voir’ –et de nommer- le réel, alors que ça a l’air si simple et si évident : quand je vois, comment je vois ? Et à travers quels filtres culturels ou autres ? Quant les enfants modernes voient un hélicoptère, moi je voyais ‘la mai Polo’ …
Un jour que j’étais avec mes petits-neveux qui voyaient eux aussi un hélicoptère, « naturellement », —et nous avons vu que ce qui paraît naturel ne l’est en fait pas tant que ça!—je me suis mis à l’ouvrage avec eux, et nous avons fait vraiment un hélicoptère. Et voilà comment est né le dernier avatar en date du vironzeu de la mai Polo !

Eh bien, ce n’est pas tout : une jeune dame de ma famille, qui est responsable du personnel dans son Entreprise, me fait le plaisir de s’intéresser aux jouets rustiques et en collectionne quelques uns. C’est ainsi qu’elle possède trois ou quatre vironzeux, de formes et de tailles différentes, et en a un sur son bureau, au travail. Elle m’a dit un jour : « Votre moulinet est magique : quand les personnes entrent dans mon bureau, elle le voient et elles me demandent ce que c’est ; je le leur montre et je leur explique. Elles le prennent en mains et le font tourner et alors, vous ne le croirez pas, ça les aide à parler de leurs problèmes ! C’est une véritable aide à la communication !»


Un bien modeste jouet le vironzeu ?
C’est à vous de le dire.
Pour moi, c’est le symbole de toute mon enfance et, avec Pablo Neruda, je vous dirai : « Chez moi, j’ai rassemblé des jouets, petits et grands, sans lesquels je ne pourrais pas vivre. L’enfant qui ne joue pas n’est pas un enfant, mais l’homme qui ne joue pas a perdu pour toujours l’enfant qui vivait en lui, et dont il aurait tellement besoin. »

mardi 2 décembre 2008

Cet objet vous fait penser à quelque chose?


Gagné! C'est un WHIMMY DIDDLE, que l'on nomme aussi GEE HAW ou HOOEY STICK . regardez plutôt ici, sur YOUTUBE

lundi 1 décembre 2008