dimanche 9 novembre 2008

UNE JOURNEE D'ANIMATION

Une journée d’animation parmi tant d’autres.

Pour voir d'autres photos, allez sur : http://picasaweb.google.com/daniel.descomps/JOUETRUSTIQUE?authkey=k4gxPNe7nNM#

Comme au printemps, toujours, renaissent les fleurs aussi belles, à chaque sortie jouets renaît l’aube du monde: je vais rencontrer des regards éblouis, petits et grands —il n’y a pas d’âge pour être jeune—, entendre des éclats de voix qui s’émerveillent et partager la joie des cœurs.
Peu importe qu’il fasse chaud, qu’il fasse froid ; le soleil sera dans leurs yeux. Et comme toujours, le petit miracle se reproduira.
Le rendez-vous a été pris, parfois longtemps à l’avance, parfois un peu au dernier moment, et les conditions ont été fixées : apporter ces joies qui font un pied de nez à la marchandisation de l’Homme et de la Nature.
Les jouets sont là, enfermés dans des poches de supermarché, disposés dans des bacs en plastique, un peu froissés quelquefois, et dans l’état où ils sont restés depuis le dernier remballage, toujours un peu précipité, de la dernière journée d’animation… surtout si c’est moi qui l’ai fait. Quelques-uns, qui avaient été mis " à l’infirmerie " ont été réparés ; d’autres, plus abîmés, trop fragiles ou un peu délaissés, ne feront pas demain le voyage.
Il faut quelquefois partir tôt le matin, aussi la plupart du temps, le chargement dans la voiture se fait-il la veille. Ah ! ne rien oublier, ni les outils, ni les petits matériaux : noix, cannes de Provence, boîtes de camembert, chambre à air, colle, et une infinité de chutes de bois, de ficelle ou de fil de fer, cupules, galles du chêne, qui passent l’année à somnoler au fond du bac et dont un jour on tirera ce petit objet inattendu qui fera le bonheur d’un enfant.
Parfois avant le petit jour, enveloppé dans la froidure de l’hiver, parfois à l’aube claire de l’été, respirant les dernières bribes de fraîcheur avant la canicule, mon compère Michel, qui est toujours à l’heure, m’attend au seuil de sa maison. Et nous voilà partis.
La carte, les itinéraires, les kilomètres, et enfin le lieu de destination : petit village, bourgade ou ville que l’on va découvrir au hasard de l’inspiration, en s’égarant dans les rues pour visiter un peu —je ne le fais pas toujours exprès—sous prétexte de chercher la salle ou la place qui nous accueillera.
Et puis voici la rencontre avec les organisateurs —parfois des retrouvailles, des amitiés nées d’une année précédente— ; tout est ici possible, mais c’est toujours déjà la fête qui commence : les jouets sont attendus : les anciens qui ont été aimés et les nouveaux qui vont faire des conquêtes.
L’installation, ah !, l’installation, toujours improvisée, inattendue ! Ici ce sera une ancienne étable au sous-sol d’une grange où pendent, du plafond, des toiles d’araignées séculaires d’où, tout à l’heure, tombera une dense pluie de poussière équivoque dont il faudra se protéger avec des parapluies de fortune. Là ce sera une somptueuse salle médiévale en ogives de pierres taillées, décorée d’un goût sûr, sorte de réfectoire de moines ou de repaire de chevaliers. Plus loin, un alignement de tables sur des tréteaux bancals, à l’ombre le matin, en plein cagnard l’après-midi. Et encore ces tables basses d’école maternelle où il faudra raccourcir ses jambes ou se casser les reins pour être à la hauteur, et ces magnifiques étals, couverts de nappes de papier pastel, sous le ciel d’une bâche lumineuse, parmi les arbres d’un parc gazonné. Et, tout en haut d’une colline sacrée, cette petite église souterraine…
Dans un silence respectueux ou dans le vacarme de baffles grands comme des camions, dont le souffle renverse et dont le bruit annule toute communication ; mais il paraît que maintenant " ça le fait " !
Cela, c’est pour le lieu. Il faudra maintenant déballer, classer, disposer les jouets par thèmes : le vent, la noix, l’eau, les mécanismes roulants et les autres.
Bien sûr, j’ai toujours oublié la bonne ficelle ou les punaises pour installer les funambules —et Michel me le rappelle vertement, en dissimulant mal son inépuisable bonhomie—, ou alors il n’y a rien au mur pour les fixer. Mais là n’est pas le souci! Le problème c’est le succès immédiat, incontrôlable —d’ailleurs, pourquoi le contrôlerait-on, si on est précisément venus pour le créer— : les premiers jouets n’ont pas été encore mis au jour qu’une nuée de visiteurs les a déjà pris en mains : les organisateurs et leurs enfants, les autres exposants s’il y en a, les maîtres des écoles qui veulent voir avant les élèves, toucher, jouer, régresser. Même l’autorité de Michel se révèle impuissante…
Et c’est irrépressiblement parti : jusqu’au soir il n’y aura plus une seconde de répit.
D’un côté, l’exposition où Michel règne en maître, et de l’autre l’atelier où je règne aussi —un peu moins ?—. C’est que, dans ce duo de grands pères demi clowns, il y a deux chefs, sans que personne ne sache qui est le plus chef des deux. Mais non ! C’est une blague ! C’est un truc d’animation où les fausses querelles, les reproches simulés et les compliments réciproques —ceux-ci parfois mérités— entretiennent la bonne humeur.
L’expo et un atelier .
On ne saurait présenter une animation ludique en " tirant la gueule " ! Mais, par bonheur, point n’est besoin de se forcer : les jouets, ces petites merveilles qui ont traversé les siècles et parfois les millénaires en se chargeant à chaque génération, d’un peu plus de magie, n’ont aucune peine à réaliser pour nous l’essentiel. Il n’y a qu’à les écouter et les suivre ; se laisser porter par eux.
Si l’atmosphère globale est toujours sensiblement la même, si les visages et les sourires s’épanouissent toujours aussi largement, les innombrables anecdotes inépuisablement diffèrent.
C’est le petit grand père un peu penché, un peu bancal, à l’expression figée, que ses enfants ont sans doute sorti pour un moment de la maison de retraite où, petit à petit, il s’éteint, le guidant par la main.
Péniblement il s’approche ; le regard reste vague et les mots d’encouragement de sa famille restent inopérants.
Je connais ce profil de visiteur, comme beaucoup d’autres d’ailleurs : tout comme avec les très petits enfants, les mots ne servent ici à rien.
C’est la saison de la folle avoine, et j’en ai préparé un fagot. Devant lui, sans un mot, je coupe un morceau de paille et je le fends —geste unique où l’erreur n’est pas permise—, et je le lui mets dans la bouche, bien profond :
—Soufflez !
Il n’a plus guère de souffle, le grand père, et ça ne marche pas.
—Plus fort !
Il semble que, du fond de sa mémoire d’antan, ressurgisse un souvenir, un souvenir gestuel. Il souffle plus fort, et, soudain, ça couine ! Et il recommence !
Le regard s’éclaire, les muscles du visage reprennent un peu de vie ; on sent presque une larme dans les yeux, et la bouche dit " Merci ! ".
Merci à qui ? C’est moi qui dois le dire, le merci ; merci à ce jouet qui m’a permis, aujourd’hui, de ne pas m’être levé pour rien, car grâce à lui j’ai pu éclairer un moment l’hiver de ce vieil homme. Et cet hiver, que je souhaite pour moi encore un peu lointain, j’en vois et j’en mesure pleinement la froidure…
C’est aussi cette petite mamie, bien mise —trop bien mise ?— dont le port noble et résigné trahit sans doute une grande solitude, et qui passe un peu loin, n’osant pas s’approcher.
Elle, il faut aller la conquérir, sortir du cadre de l’atelier, et, toujours sans l’obstacle des mots, lui présenter le " canta caramèl ".
—Moi, à mon âge ? Vous croyez ?
—Tenez ; soufflez !
Elle ose. Elle a encore de l’énergie. Et le bruit l’émerveille :
—Ah, ça, alors !
—Vous voyez qu’il n’y a pas d’âge pour être jeune —je n’ose pas dire " pour être belle "— ?
Combien de temps cela fait-il qu’elle n’avait reçu d’un étranger une aussi modeste expression de simple tendresse humaine ?
Ses traits se libèrent, et son sourire est beau.
Froidure et misère de la vieillesse emmitouflée de dignité, quel désert affectif entoure, isole au loin, ce cœur qui pourrait encore aimer ?
Elle est repartie, sans plus rien dire. Mais l’étoile filante d’un instant de bonheur aura, pour elle aussi, illuminé un peu son long parcours de solitude.
Encore une journée qui n’aura pas été perdue !
Pendant ce temps là, les plus jeunes, déjà équipés de mirlitons, de " buses " et ce " canta caramèl ", s’égayent dans la fête, emplissant l’atmosphère de leurs chants, de leurs cris, de leurs rires.
Mais le centre de l’attraction magique, c’est Michel —il aurait fait un bon sorcier !— qui, ludion en mains, captive les foules agglutinées autour de lui.
Il y a ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ; ceux qui trouvent et ceux qui ne trouvent pas la " ficelle ". Adultes et jeunes de tous les âges, hommes et femmes confondus.
Et il faut voir les visages des uns autant que ceux des autres, entendre les commentaires, les rires, les exclamations lorsque quelqu’un comprend, les reproches quand un petit malin explique trop tôt le truc !
Il faut dire que Michel ne fait rien pour aider ceux qui " sèchent " ; il m’appelle même parfois pour que j’apporte les ciseaux, " ceux qui coupent bien ", et que je sectionne la ficelle. Et bien entendu, cela ne fait qu’augmenter la perplexité des curieux.
L’exposition est immanquablement le coeur d’une ruche qui bourdonne en permanence.
Les questions fusent de toutes parts : sur les techniques, les matériaux, la provenance des jouets, leur histoire et leur authenticité, les outils, sans compter les demandes de ceux qui voudraient en acheter —mais il n’y a rien à vendre !—, et Michel qui les connaît tous très bien ne manque pas de répondre complaisamment. Et s’il lui vient parfois un doute, je l’entends dire au visiteur :
—Allez voir le monsieur avec la barbe, là ; c’est lui qui les fabrique, et il vous l’expliquera.
Et puis, il y a la " grenouille ". Ah ! La " grenouille " !
C’est le monde du merveilleux à l’état pur.
Et vous, qui savez lire ces lignes, vous l’entendrez peut-être, mais vous ne pourrez plus jamais la voir…
La grenouille, elle a toujours un peu soif, ça n’aime pas la sécheresse les grenouilles ; aussi faut-il souvent lui donner à boire. Elle a donc un verre d’eau après d’elle et, chaque fois qu’un enfant approche, on commence par tremper le bâton dans le verre, en expliquant bien qu’elle a soif, et que si elle ne boit pas, elle ne pourra pas chanter. C’est qu’il convient de mettre en place le sortilège !
Vous n’y croyez pas, vous ? Cela ne m’étonne pas, et c’est malheureusement normal. Passés les deux ou trois ans d’âge, on a perdu la faculté d’apercevoir la grenouille, sauf Michel et moi qui avons encore conservé ce don.
Arrive le grand moment pour les magnifiques photos : il convient que le photographe se place derrière l’animateur, face à l’enfant qui regarde. Il doit y avoir, dans les albums de famille, des dizaines ou des centaines de ces instantanés uniques où l’on saisit, grandeur nature, le merveilleux tout vif, dans les grands yeux des petits.
—Tu es prêt ? Alors, écoute : la grenouille va chanter.
On fait tourner le bâton mouillé, entaillé d’une encoche circulaire, autour du fil guipé bien tendu, et la grenouille chante ! (Pour les grands, disons que le ripage du fil guipé —autrefois on employait du crin de cheval enduit de paraffine— sur le bois du bâton produit une vibration transmise à la membrane de plastique épais et amplifiée par la caisse qui peut être un tronçon de gros bambou ou une boîte fabriquée avec des planches de cagettes de fruits. Mais ça, c’est l’arrière cuisine, c’est la face cachée du sortilège.)
L’enfant est entré pleinement dans le jeu ; il en oublie le flash et le public qui s’extasie, qui s’attendrit, qui n’en perd pas une miette.
—Alors, elle y est, là, la grenouille ? Regarde bien !
Les bustes se penchent en contorsions, les têtes se redressent à l’envers, et les regards tentent de sonder le fond de la boîte, par-dessous.
—Oui, elle y est !
—Non…, je ne la vois pas… —se lamente un autre.
—Eh bien, mets la main ; essaye de l’attraper, tu verras bien si elle y est.
Va-t-il (elle) oser ? Ne serait-ce pas un peu risqué ? Certains s’ aventurent, d’autres pas.
Alain le philosophe, pédagogue serein et avisé, écrivait qu’il fallait surprendre l’enfant par des tours de magie, lui faire vivre pleinement cet instant d’exception, puis, tout doucement pour ne pas rompre brutalement le sortilège, l’amener à réfléchir. Et il avait raison, car le but n’est pas de tromper l’enfant.
Nous avons choisi pour cela de dire :
—Tu crois que papa (ou maman) saurait la faire chanter, la grenouille ?
Perplexité, crainte de la mise en échec du parent aimé et admiré, parfois ils hésitent : regard inquiet vers papa ou maman, et aussi vers l’animateur. Faut-il avoir confiance ? Mais l’invitation, toujours très ludique, accueillante et jouant sur la curiosité, réussit immanquablement à emporter l’adhésion.
Et maman ou papa s’y prêtent de tout cœur, offrant leur tendre complicité, tellement bien que je me demande souvent s’ils ne l’ont pas vue, eux aussi, la grenouille, tant la contagion est forte du merveilleux où est plongé leur enfant.
Savons-nous apprécier pleinement ces uniques instants, éphémères, beaux et fragiles comme papillon qui butine ?
Puis chacun construira sa réponse et partira avec son rêve…
La " grenouille ".
Au cours des animations, les compliments, parfois émouvants, toujours sincères feraient presque rougir si on les prenait pour soi. Peut-être sommes-nous un des maillons de la chaîne culturelle que nous tenons en mains ? Mais c’est au jouet lui-même, donc à ses créateurs et aux générations qui l’ont porté, que va toute cette reconnaissance !
Il serait difficile de rapporter les mots entendus : peut-être que le lecteur penserait qu’ils ont été " arrangés ". Par contre, il est facile de recopier quelques exemples de ceux qui ont été écrits sur le " Livre d’Or " de l’exposition de Pujols en 2004 :
Par des enfants (Orthographe respectée)
" C’est super impresionnant se que vous faite en si peut de temps. " Pierre.
" C’est trèst joli votr magasin, jaime bien vo chose sa alair trest dure a faire. " Lucie 7 an.
" Je trouve ça vraiement bien, je vois qu’avec un petit peu de bois on peut faire des choses extraordinaires, félicitations " Lena.
" C’était vraiment bien ! Je ne me doutais pas que quelque chose d’aussi simple puisse être aussi amusant ". Louis
Par des adultes
" Tout ce qui n’est pas donné est perdu, merci de nous transmettre vos connaissances. " Patricia.
" Des doigts de fée plus de l’intelligence, c’est beaucoup de bonheur pour les yeux et les cœurs des enfants et des adultes. Bon courage ! "
" Ce qui se passe ici est merveilleux. Des personnes avec un tel amour n’existent plus beaucoup. J’aimerais essayer de me fabriquer aussi de telles merveilles. " Joséphine.
" Garder une démarche et un esprit d’enfant, quoi de plus sain dans cette p… de vie qui nous entoure ! ! ! " Simon, Fanette, Jeanne, Didier.
Atelier à Pujols
On pourrait multiplier ces citations, au risque de lasser le lecteur. Ces quelques exemples suffisent, je crois, pour donner le ton.
Et, pour l’animateur qui est bien conscient de ne pas y être pour grand chose, c’est tout de même aussi de merveilleux instants de bonheur partagé.
Voici maintenant que se présente une presque " jeune fille " —13/14 ans—.
—Vous savez, j’ai acheté votre livre et j’ai fabriqué un jouet.
—Ah, bon ! Lequel ?
—La Colombe d’Archytas.
Je suis toujours étonné par les choix, surtout les premiers, que font les débutants. Ce ne sont, bien sûr, jamais les mêmes, et ce sont souvent des modèles difficiles. Cela confirme bien au moins deux choses : que le choix fonctionne au " coup de cœur ", et qu’un accompagnement est nécessaire.
—Et alors ?
—Alors, j’ai un souci parce que la ficelle sort de la poulie, et ça ne marche pas… Mais, si vous voulez, j’habite pas loin et je peux vous l’apporter.
—D’accord ; avec plaisir.
Et voici que la petite revient avec son jouet. Autre surprise, qui n’en est plus d’ailleurs, tant la chose est fréquente : la touche personnelle apportée à la réalisation. J’ai, pour ma part, réalisé le jouet dans de petites dimensions —à peine 20 cm de long pour l’ensemble—, et dans du bois fin et assez léger. Le sien mesure bien 60 cm, et le bois principal est une véritable branche, coupée sur un arbre sec, légèrement tordu, qui a été fendu et percé d’énormes trous, et la poulie est faite d’un disque d’aggloméré d’au moins 20 cm de diamètre. L’ensemble est à l’avenant.
—C’est toi qui l’a fabriqué ?
—Oui, toute seule !
—Eh bien, chapeau pour les petites mains ! Voyons un peu.
L’ensemble est tellement lourd qu’il n’y a aucun problème pour obtenir la force nécessaire au battement des ailes ; il n’y a même pas besoin de contre poids.
—Je vois : tout est prêt pour que cela fonctionne ; le seul problème, c’est que ta poulie n’est pas bien fixée à son axe. Donc, lorsque tu suspends le jouet, le poids te la met en travers et, naturellement, la corde saute ! Attends, on va arranger ça.
Ouf, je n’avais pas oublié ce jour-là le tube de colle à bois. Notre jeune réalisatrice a tout de suite compris, et nous avons collé la roue.
Le plus long, c’était d’attendre que ça sèche, et la journée était terminée. Elle est repartie ainsi. Mais, si quelque problème subsiste, de cette jeune tête où tout est maintenant bien clair, je ne doute pas que surgira la solution.
Le cœur a ses raisons…
" Ici, il n’y a rien à vendre ! " Combien de fois par jour sommes-nous amenés à redire cette phrase qui déçoit tant de monde ?
Mais, existe-t-il règle sans exception ?
La dame a vu, touché, essayé tous les jouets de l’exposition. Elle tourne, s’éloigne et revient, puis s’enhardit et s’approche, tenant en mains la " Ronde aux sept nains ".
—C’est combien celui-ci ? L’accent est anglais, la courtoisie impeccable, et quelque chose dans la voix et dans les yeux révèle un intérêt étrange.
—Ici, il n’y a rien à vendre, Madame.
—Ah ! Mais, vous ne pourriez pas me faire cette faveur ?
—Non, vous savez, ici nous voulons donner envie de faire les jouets soi-même. Notre but est éducatif, pas commercial.
—S’il vous plaît, pouvez-vous venir et m’écouter ?
Et la dame m’entraîne un peu à l’écart de la foule des visiteurs.
—Je vais vous expliquer : c’est pour un cadeau bien particulier.
—Je comprends, mais…
—Non, vous ne comprenez pas ! C’est pour mon mari, pour son anniversaire.
—Ah !
—Mon mari, il est là-bas, dans la voiture. Il est très malade, et il n’a pas pu venir jusqu’ici. Mon mari a travaillé le bois toute sa vie, et il adore ce style de jouets. Vous voyez, il fête bientôt son anniversaire, et il m’a dit : " Tu sais, ce sera le dernier… ".
—…
—Nous serons sept à son anniversaire, les plus intimes de la famille, et sur ce jouet il y a sept personnages. Vous ne croyez pas que c’est un signe ? Ce serait pour lui une si belle surprise !
—…
—Je vous en supplie, faites une exception Ce n’est pas le prix qui compte, vous me comprenez bien ; dites-moi combien…
—Je ne sais vraiment pas quoi vous dire.
—Ne me dites rien ; tenez, personne ne nous aura vus.
Et la dame m’a glissé quelque chose dans la main. Je n’ai même pas regardé. J’ai seulement vu les larmes dans ses yeux, mélange émouvant de joie et de tristesse.
Pourquoi dire ou questionner plus ?
La dame est repartie dans l’anonymat de la foule, vers son amour et vers l’angoisse de son deuil à venir.
Les " Sept nains " ont dû ajouter leur modeste présence à une intense fête d’ombre et de lumière.
Sont-ils, aujourd’hui, orphelins ?
Tout cela pourra surprendre le lecteur, lui laisser croire qu’il s’agit là de rares exceptions ou que ce sont les seuls événements qui ont marqué des années de pratique.
Eh bien, il n’en est rien ! Ce ne sont en effet que des exemples, parmi les plus récents, et vieux d’à peine quelques mois, à l’heure où je les relate.
D’autres, innombrables, se sont un peu brouillés dans ma mémoire : j’ai seulement le souvenir qu’il y eut de gais, d’hilarants, de pittoresques, d’incongrus, ou de plus émouvants encore.
Au rythme, et à l’intensité des instants, la journée file en comète.
La fatigue s’installe : par les journées de grand froid, les os ont gelé malgré les petits ou les grands " remontants ". Les soirs de canicule, on est un peu " dans le rouge " comme on dit " sur le Tour de France ".
Il va falloir ranger : les deux compères se donnent le signal mutuel.
Et…, c’est maintenant qu’ils arrivent ! Les visiteurs de la vingt-cinquième heur, plus impatients, plus passionnés s’il est possible, que les autres.
Combien de fois a-t-il fallu ressortir tel ou tel jouet, pour une photo, pour une explication ? Car le bouche-à-oreille a bien fonctionné. Reprendre le couteau pour confectionner un dernier mirliton —un avant-dernier ?—, une dernière " buse " pour la petite sœur, pour réparer un irréparable " canta caramèl ".
Et il faudra laisser cruellement sur place la cohorte des déçus du jour, bien trop tardivement arrivés, à moins que la séance ne se poursuive… dans la rue, après que le concierge de la salle, qui respecte les horaires de travail, nous ait fermé la porte à regret.
Michel a réussi à remballer impeccablement l’expo ; l’atelier, quant à lui, a été chargé un peu —ou beaucoup— dans le désordre. Les au revoir, à l’année prochaine, les embrassades parfois, et c’est parti.
Sur la route, on " décompresse ", on commente.
La charge de fatigue disparaît sous la dose d’adrénaline.
Ce soir, avec autant d’émotions, de souvenirs et… de crampes dans tous les muscles du squelette, il faudra encore longtemps pour s’endormir…
—Au fait, c’est où la prochaine sortie ?

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